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Bruxelles, Belgium
J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur de l’éducation en prison, à l’Unesco. J’ai visité les prisons d’environ 80 pays et ai rencontré des ministres de la justice et de l’éducation, des directeurs de prisons, des éducateurs et des détenus et leurs familles. L’objectif de ce blog est de diffuser l’information que je continue de recevoir ainsi que celle que j’ai accumulée pendant mes nombreuses années de « chercheur principal » de l’Unesco. Un autre objectif est de contribuer à nourrir une réflexion qui est loin d’être close à propos de la prison, de l’éducation, de la peine, de la réinsertion, du rôle de l’état, de la responsabilité du détenu … C’est un vaste débat que l’éducation en prison. C’est pourquoi ce site accueillera toutes les informations, présentations d’expériences, recherches et études ainsi que les initiatives gouvernementales dans ce secteur. Je peux lancer et entretenir ce blog grâce à l’appui de l’Agence Education Formation de la Fédération Wallonie Bruxelles qui a accepté mon projet d’assistanat Grundtvig à Barcelone, pour les quatre derniers mois de l’année 2011. Marc De Maeyer Barcelone, le 7 octobre 2011.

mardi 22 novembre 2011

Le travail en prison: une bonne affaire pour qui?

Des lecteurs de ce blog nous ont envoyé cet article que nous reproduisons. Il montre clairement que le travail en prison pourrait être une occasion de formation professionnelle sur le tas ou tout au moins d’apprendre à apprendre. Il n’en est généralement rien car la pression des entreprises privées est forte et que les détenus ne peuvent s’organiser. On ne s’étonnera pas qu’une fois sortis, ils ne soient pas pressés de ré-intégrer le marché du travail non qualifié.
(extrait du journal Le Monde – 12 février)

Le travail en prison, une délocalisation sur place

Les cinquièmes assises de la prison se tenaient vendredi 12 février à Paris autour de la question "Réformer la prison". Un aspect souvent oublié du quotidien des détenus est que beaucoup travaillent. Mais dans quelles conditions ? Entretien avec Gonzague Rambaud, co-auteur, avec Nathalie Rohmer, du Travail en prison : enquête sur le business carcéral (Ed. Autrement, 2010).
Le travail n'est plus obligatoire en prison depuis 1987. Comment s'organise-t-il aujourd'hui ?
Gonzague Rambaud : 16 146 détenus ont travaillé en 2008, selon l'administration pénitentiaire. 8 596 dans le cadre d'ateliers de concessions, c'est-à-dire pour le compte d'entreprises extérieures ; 6 550 pour le service général (activité liée à l'entretien et au fonctionnement de la prison), et 1 000 pour la régie industrielle des établissements pénitentiaires qui fabrique des pièces destinées à l'administration. Le travail est devenu nécessaire à beaucoup de détenus car contrairement à certaines idées reçues, il faut de l'argent pour vivre en prison. Les repas sont frugaux donc il faut pouvoir cantiner, ce qui équivaut à faire des courses à la supérette de la prison à des prix exorbitants, y compris pour des produits de première nécessité (entretien, hygiène, timbres, stylos...).
Le statut des détenus n'a rien à voir avec le droit commun. Il n'y a pas de contrat de travail en prison. C'est expressément interdit par l'article 717-3 du code pénal. Ce qui veut dire pas de smic, pas de congés payés, pas de droit syndical, pas d'arrêt maladie...
Ils travaillent par ailleurs dans des conditions d'hygiène et de sécurité déplorables : dans des espaces pas ou peu aérés, sur des machines qui ont souvent trente ans de retard par rapport à ce qui se pratique dehors. A la prison de Melun, j'ai vu un détenu travailler sur une machine à rivets automobiles, laquelle avait un manche substitué par une balle de tennis crevée ! Et là encore, on déroge au droit commun car l'inspection du travail n'a pas le droit de se rendre inopinément en prison : elle doit être invitée par l'administration. A Melun, le responsable de la métallerie était là depuis 35 ans, et n'avait eu qu'une seule visite de l'inspection du travail.
Enfin, la rémunération des détenus est elle aussi très inférieure à celles des autres salariés. Ils sont payés à la pièce, avec des cadences horaires fixées par l'entreprise pour ceux qui travaillent pour des entreprises extérieures. Le seuil minimum de rémunération, sorte de smic carcéral, est officiellement de 3,90 euros brut de l'heure. Un détenu me racontait que même en ayant une bonne cadence, il n'arrivait à gagner au mieux que 300 euros par mois, en travaillant 6 heures par jour. Ceux qui travaillent au service général sont encore moins bien payés : 220 euros net par mois en moyenne, ce qui permet à l'administration pénitentiaire defaire des économies substantielles par rapport au prix qu'elle devrait payer des salariés venus de l'extérieur pour faire le ménage ou servir les repas. Le travail en prison est en fait une délocalisation à domicile.
Quelles entreprises sont concernées et comment justifient-elles le recours à ce sous-salariat ?
EADS, Yves Rocher, Bic ou encore L'Oréal ont recours au travail des détenus. L'Oréal fait fabriquer les échantillons que l'on trouve dans les magazines ; YvesRocher leur fait assembler des paniers "spécial fêtes des mères". Les Post-It de la marque 3M sont également découpés par des prisonniers. Mais nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour interviewer ces entreprises : elles ne se vantent pas de leur présence en prison. Bic a retrouvé la mémoire quand nous avons montré des preuves : là dans un mail très détaillé, Bic a reconnu avoir été présent de 1970 à 2007 dans les prisons de Fleury-Merogis et d'Osny, pour faireassembler des opérations marketing sur leurs stylos et leurs rasoirs. Chaque fois, ces entreprises se défendent en indiquant que ce ne sont pas directement elles, mais leurs sous-traitants, des PME, qui travaillent avec l'administration pénitentiaire.
Ce vendredi, les cinquièmes assises de la prison se sont tenues sur le thème "Réformer la prison". Quelles pistes sont étudiées pour améliorer les conditions de travail des détenus ?
Plusieurs rapports ont dénoncé les conditions de travail des détenus et préconisé de faire entrer un contrat de travail en prison. Mais à chaque fois, et encore dans la dernière loi pénitentiaire votée à l'automne, le législateur insiste sur la nécessité de l'interdire. Car sur le plan économique, les entreprises n'auraient plus d'intérêt àvenir en prison. Quand les Italiens ont voulu le faire, les entreprises ont déserté.
Une solution serait de faire appel à des entreprises d'insertion par l'activité économique qui, elles, par définition, ne sont pas là pour faire du profit. Mais cela coûte cher car ces entreprises fonctionnent avec des contrats aidés. Or une personne en contrat aidé à temps plein coûte 9 600 euros par an. Une goutte d'eau pour le budget de l'Etat mais bien trop pour les contribuables dont beaucoup estiment qu'on n'a pas à dépenser de l'argent pour des criminels. Il faudrait donc de la volonté politique. Une autre piste développée par le rapport du sénateur Loridant serait de créer un statut spécial, à l'instar des zones urbaines sensibles et des zones franches urbaines : les entreprises qui viendraient s'implanter en prison aurait des aides supplémentaires de l'Etat, des exonérations de charges, etc.
Enfin, on pourrait aussi favoriser la formation professionnelle des détenus afin qu'ils sortent de prison avec une vraie qualification à faire valoir. Car la plupart des détenus ont un niveau scolaire assez faible. Pourtant, seuls 3 500 détenus ont bénéficié d'une formation en 2008 car les budgets sont très réduits et la formation n'est rémunérée que 2,24 euros de l'heure.
Le ministère de la justice parle du travail en prison comme d'une activité "fondamentale pour la réinsertion future des personnes incarcérées". Qu'en pensez-vous ?
Je ne pense pas que le travail carcéral favorise la réinsertion. La directrice de l'espace liberté emploi, le pôle emploi des sortants de prison, nous a d'ailleurs indiqué qu'elle ne constatait aucun lien entre le fait de rebondir à la sortie et le fait d'avoir travaillé en prison. Les activités pratiquées, comme le rempaillage de chaise, la couture ou le travail à façon sont des expériences difficiles à faire valoir à la sortie : soit ces activités ont été entièrement mécanisées, soit elles ont été délocalisées dans des pays à bas coût, au Maghreb ou en Asie. Et, au-delà même du type d'activité pratiquée, j'estime que lorsqu'on propose des boulots ingrats, mal payés, sans contrat de travail, cela ne donne pas au détenu un rapport au travail très intéressant.
La prison est la peine la plus grave aujourd'hui en France : priver quelqu'un d'alleret venir, c'est terrible. On ne peut pas ajouter à cela une autre peine qui est celle d'être exploité, de travailler dans des conditions d'hygiène et de sécurité déplorables, avec des rémunérations indécentes, sans même savoir pour qui on travaille.
Propos recueillis par Aline Leclerc





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