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Bruxelles, Belgium
J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur de l’éducation en prison, à l’Unesco. J’ai visité les prisons d’environ 80 pays et ai rencontré des ministres de la justice et de l’éducation, des directeurs de prisons, des éducateurs et des détenus et leurs familles. L’objectif de ce blog est de diffuser l’information que je continue de recevoir ainsi que celle que j’ai accumulée pendant mes nombreuses années de « chercheur principal » de l’Unesco. Un autre objectif est de contribuer à nourrir une réflexion qui est loin d’être close à propos de la prison, de l’éducation, de la peine, de la réinsertion, du rôle de l’état, de la responsabilité du détenu … C’est un vaste débat que l’éducation en prison. C’est pourquoi ce site accueillera toutes les informations, présentations d’expériences, recherches et études ainsi que les initiatives gouvernementales dans ce secteur. Je peux lancer et entretenir ce blog grâce à l’appui de l’Agence Education Formation de la Fédération Wallonie Bruxelles qui a accepté mon projet d’assistanat Grundtvig à Barcelone, pour les quatre derniers mois de l’année 2011. Marc De Maeyer Barcelone, le 7 octobre 2011.

dimanche 27 novembre 2011

Il n'y a pas de représentation idéale

Il n’y a pas de représentation idéale.


C’était la représentation de tous les dangers. Et ce le fut.

Bien sûr, après la représentation de la veille, devant – entre autres – les familles et donc une nuit sans sommeil tant l’émotion avait été forte pour les détenus acteurs, il y avait cette dernière séance exclusivement pour les prisonniers.

Le danger était double: que la concentration se relâche et que le public du jour, sans concession, n’entre pas dans le jeu.

Venus des différentes sections de la prison, les deux cents spectateurs étaient là parce qu’ils n’avaient pas de visite familiale, parce que, le samedi, les activités sont réduites, parce qu’ils n’avaient rien d’autre à faire, parce que c’était une occasion d’aller voir ailleurs, de rencontrer des amis des autres sections, bref, on allait jouer devant / pour un public aux motivations les plus fragiles.

Le phénomène de groupe a joué à fond: des chahuts et réflexions, deux sabotages (débrancher des prises), des commentaires à haute voix et finalement des groupes entiers qui quittaient le théâtre pendant le spectacle. De quoi déconcentrer mais surtout inquiéter les acteurs jouant devant leurs pairs. Ne pas être pris au sérieux par ses pairs, dans une démarche inhabituelle, ce n’est pas facile quand on doit vivre avec eux, 24 heures par jour pendant des années.

Un acteur me disait «certains de mes amis ont ri de moi mais cela va aller car moi, je sais que je suis de l’autre côté de la frontière» ; ce qui veut dire, « moi, j’ai compris, je suis dans une démarche et je suis assez fort que pour entendre ces contre arguments … que moi-même j’aurais donné, il y a encore un an ou deux. »

C’était décevant mais aussi salutaire. Certes, on aurait préféré plus d’enthousiasme de la part des spectateurs et des encouragements aux acteurs mais est-ce si étonnant que cela ne se soit pas produit ?

C’est un rappel de ce qu’est réellement la prison : elle n’est pas le lieu où chacun soutient et encourage l’autre dans ses démarches et ses prises de risque, elle n’est pas un lieu d’innovation et de la recherche socioculturelle ; elle n’est pas un lieu de solidarité. 

Nous sommes dans ce lieu où les codes de conduite, implicites mais très clairs, ne seront jamais les mêmes que ceux de l’extérieur. La manière d’y survivre n’est certainement pas d’être original, attentif aux nouveautés et attiré par les pratiques que l’on attribue à un monde auquel on n’appartiendra jamais. Les pairs ne le toléreront jamais.

Pour beaucoup de détenus, le théâtre – surtout le théâtre participatif – représente une autre culture et constitue donc une caractéristique d’une autre classe sociale – celle, entre autres, des juges et magistrats.
Il y aurait donc, dans le chef des acteurs, comme un parfum de trahison par rapport à sa propre classe sociale et à sa consommation culturelle. ..surtout s’il ne s’agit pas uniquement d’assister aux représentations mais aussi d’y être acteur.

Ce qui s’est passé hier nous rappelle qu’il n’y a pas de représentation idéale ; qu’il n’y a pas de théâtre idéal ; qu’il n’y a pas de prison idéale parce qu’il n’y a pas de société idéale.

Cette société de paix, de non violence, de sécurité et de promotion pour chacun se construit avec l’aide de tous les citoyens et sous la responsabilité de l’Etat. Le travail théâtral, l’éducation formelle et non formelle, l’insertion professionnelle, l’intégration sociale, l’éducation pour tous tout au long de la vie sont quelques-uns des objectifs sur lesquels la société civile s’implique également. Nous avons dit combien, dans le cadre de la prison, sa présence était essentielle.

C’est aussi le mérite de cette société civile que de s’impliquer là où l’Etat ne veut pas (trop) s’engager; l’état de l’éducation en prison dans le monde en est un exemple frappant.

Les organisations qui, comme Teatrodentro, sont impliquées depuis des années dans la prison de Cuadro Camins acquièrent jour après jour leur crédibilité par la qualité du travail effectué et la régularité de leur présence cohérente.
Des moments de grande émotion et de réussie succèdent aux moments d’hésitation, voire de découragement. Ceux qui travaillent dans un secteur comme celui de l’éducation en prison savent qu’à chaque moment, tout peut basculer parce que le détenu est invité à devenir un interlocuteur… et que cela s’apprend.


Tout au long de ces cinq billets consacrés à la préparation et la représentation de « Entre tu y yo » par Teatrodentro et les acteurs de la prison de Cuatro Camins , près de Barcelone, nous avons souligné combien la contradiction était forte entre ce que le rôle de détenu modèle suppose de conformité, d’imitation, d’obéissance, de suivisme  et ce qui est attendu de lui, dès sa sortie quand il devra prendre des initiatives, entrer en contact avec les autres, être demandeur, être partenaire, être parfois parent, être acteur… de sa propre vie.

Cette contradiction, pas toujours exprimée mais vécue, peut sans doute trouver sur scène, sous les applaudissements de la famille et les moqueries des pairs, un espace temps original qui fait découvrir l’ampleur de ce qui l’attend à la sortie - cette sortie tant attendue et qui fait peur.

La représentation théâtrale a peut-être conforté son audace qu’il y a à chercher ce qu’il y a d’incertain et de fascinant « entre toi et moi ».  



Marc De Maeyer
Barcelone, 27 novembre 2011.

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