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J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur de l’éducation en prison, à l’Unesco. J’ai visité les prisons d’environ 80 pays et ai rencontré des ministres de la justice et de l’éducation, des directeurs de prisons, des éducateurs et des détenus et leurs familles. L’objectif de ce blog est de diffuser l’information que je continue de recevoir ainsi que celle que j’ai accumulée pendant mes nombreuses années de « chercheur principal » de l’Unesco. Un autre objectif est de contribuer à nourrir une réflexion qui est loin d’être close à propos de la prison, de l’éducation, de la peine, de la réinsertion, du rôle de l’état, de la responsabilité du détenu … C’est un vaste débat que l’éducation en prison. C’est pourquoi ce site accueillera toutes les informations, présentations d’expériences, recherches et études ainsi que les initiatives gouvernementales dans ce secteur. Je peux lancer et entretenir ce blog grâce à l’appui de l’Agence Education Formation de la Fédération Wallonie Bruxelles qui a accepté mon projet d’assistanat Grundtvig à Barcelone, pour les quatre derniers mois de l’année 2011. Marc De Maeyer Barcelone, le 7 octobre 2011.

mercredi 23 novembre 2011

Histoires de vie: répétition de "entre toi et moi" à la prison de Barcelone

J’ai assisté, dimanche,  à la première répétition générale de « Entre tu y yo », un spectacle de Teatrodentro conçu et réalisé dans la prison de Cuatro Camins, à une trentaine de kilomètres de Barcelone.

Cette prison, bien entretenue, si elle n’est pas un modèle (il n’y a pas de prison modèle), n’en demeure pas moins une de celles ou, s’il le faut et quand il le faut, il vaut mieux être incarcéré que dans d’autres du même pays, de la même région, du même continent…

L’organisation quotidienne, voulue par la volonté politique de la Région ainsi que des responsables de la prison, prévoit que pratiquement chaque détenu a, chaque jour, au moins, une demi-journée d’activité: que ce soit du théâtre, de l’alphabétisation, de la formation professionnelle, du travail pour les entreprises privées, du sport…
Rares – très rares – sont ceux qui restent en cellule toute la journée.

Répétons-le, il n’y a pas de bonnes prisons et celle-ci, comme d’autres, comporte son lot de manquements, d’échecs, de frustrations, …

On la décrira un autre jour et on va se concentrer, aujourd’hui sur la répétition générale.

La répétition a lieu dans le théâtre… car la prison dispose d’un théâtre d’environ 400 places. Ce qui n’est déjà pas banal.

La collaboration d’assistant que je preste ici pour quatre mois, grâce au soutien du programme Grundtvig, me permet d’observer cette dynamique.

Le spectacle a été imaginé par la dizaine de détenus qui participent à l’atelier; au cours d’improvisations, de discussions, d’imitation, ils en sont venus à construire progressivement un scénario.
Cela ne s’est pas fait en huit jours ; il a fallu six mois, à raison d’une réunion tous les jours pendant les 5 jours de semaine, pour arriver à un « consensus», une œuvre commune. C’est ici que l’éducation non formelle dévoile tout son potentiel: des gens qui n’ont pas l’habitude de négocier, de laisser de la place à l’autre, d’entamer un projet et de s’y tenir, de comprendre les règles de la communication interpersonnelle: tout cela, ils l’ont assimilé pour produire le scénario. Ce sont des apprentissages forts qui serviront (et servent déjà)

« Entre toi et moi ».

L’histoire d’une famille où il y a des secrets, et donc des alliances et donc des non-dits; une famille où l’un va négocier une partie d’un secret avec un autre pendant que cet autre sera dans le secret d’une autre nature.

Evidemment que la famille est centrale dans l’imaginaire et la réalité du détenu : c’est souvent à l’intérieur de celle-ci que l’on va trouver les causes profondes qui ont amené à la délinquance mais c’est également à l’intérieur de celle-là que les intervenants sociaux essayeront de travailler pour préparer la réinsertion. C’est aussi son modèle qui tient les détenus « éveillés à leur futur », c'est-à-dire à leurs projets pour leurs enfants.

Dans le groupe, il y a un jeune qui a déjà passé pas mal de temps en prison; il n’est pas prêt d’en sortir; ce n’est pas son premier séjour en prison; en fait, son tout premier séjour en prison, c’est à la naissance ; il y est né !. Ses parents sont encore, chacun, incarcérés quelque part; des frères, des sœurs, des oncles aussi. ….
Dans ce contexte très particulier, la famille est vraiment le mot magique; loin des solidarités éphémères et utilitaires qui se construisent entre pairs en prison. Mais quel mythe aussi !

Donc, dimanche après-midi: répétition générale; pas de texte en mains; l’installation technique, les décors ont également été préparés par d’autres détenus. Au total, une vingtaine, encadrés par trois professionnels du théâtre. Et, à la porte, un seul gardien à qui tout le monde dit bonjour, avec qui on bavarde…

Un groupe d’étudiants en travail social et en art est venu; pour voir de l’intérieur ce travail ; pour aller plus loin que l’émotion que l’on a quand on assiste à un spectacle proposé dans ces circonstances, dans ce lieu.

Le théâtre ne transforme pas les détenus en anges, en personnes immensément gentilles et sympathiques et d’une douceur exemplaire. Les détenus restent les coupables qu’ils sont d’avoir enfreint la loi et souvent d’avoir atteint à la dignité de leurs contemporains mais, les voilà sur scène avec leur trac, la perte de mémoire, l’oubli de se placer sous la lumière, l’impatience de répéter la scène une cinquième fois parce que l’interlocuteur se trompe toujours au même endroit, le fou rire nerveux ; la peur de se tromper, le plaisir aussi de rencontrer sur scène des femmes avec qui les détenus sont toujours d’une correction exemplaire.

On représente et évidemment, on SE représente ; on essaye de présenter bien aussi. La nervosité est palpable; normal ; ce sont deux univers qui ont appris à se connaître (ceux du dehors et ceux du dedans) mais il faut chaque fois se mesurer, s’apprécier.
Et ta mesure n’est pas ma mesure.
Ton temps n’est évidemment pas mon temps.

Tout est tension. Un peu d’énervement en plus, une visite mal passée, une remarque d’un autre détenu et tout peut s’effondrer. Ce n’est jamais arrivé.
Tout comme un détenu qui aurait eu un mauvais comportement pendant la semaine et serait renvoyé huit jours en isolement, mettant à mal la répétition donc. C’est arrivé dimanche dernier.

La prison est vraiment ce lieu où on a l’impression qu’il ne se passe rien et en même temps ou tout, vraiment tout, peut arriver, comme ça, d’un moment à l’autre.

Au terme de la répétition, qui a duré plus de quatre heures, chacun retourne dans son module; on leur a gardé leur repas prêt.

Il faut absolument, pour mercredi, jour de la première, avoir revu son texte.
Revoir son texte; revoir le texte écrit par tous, revoir le texte qui, à certains mots, renvoie à sa situation, à sa famille, à son histoire.
Revoir donc son histoire. Répéter sa vie !

Quatre représentations sont prévues: deux pour les détenus et leurs familles; deux pour le public de l’extérieur. Il suffisait de s’inscrire. Tout est déjà réservé. Pour certains, ce sera la première fois de leur vie que des étrangers ou des membres de leur famille viendront les applaudir.

Entre toi et moi, donc !


Marc De Maeyer.
Barcelone, 23 novembre 2011

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