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J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur de l’éducation en prison, à l’Unesco. J’ai visité les prisons d’environ 80 pays et ai rencontré des ministres de la justice et de l’éducation, des directeurs de prisons, des éducateurs et des détenus et leurs familles. L’objectif de ce blog est de diffuser l’information que je continue de recevoir ainsi que celle que j’ai accumulée pendant mes nombreuses années de « chercheur principal » de l’Unesco. Un autre objectif est de contribuer à nourrir une réflexion qui est loin d’être close à propos de la prison, de l’éducation, de la peine, de la réinsertion, du rôle de l’état, de la responsabilité du détenu … C’est un vaste débat que l’éducation en prison. C’est pourquoi ce site accueillera toutes les informations, présentations d’expériences, recherches et études ainsi que les initiatives gouvernementales dans ce secteur. Je peux lancer et entretenir ce blog grâce à l’appui de l’Agence Education Formation de la Fédération Wallonie Bruxelles qui a accepté mon projet d’assistanat Grundtvig à Barcelone, pour les quatre derniers mois de l’année 2011. Marc De Maeyer Barcelone, le 7 octobre 2011.

jeudi 24 novembre 2011

"Entre toi et moi" - une première entre soi à Barcelone , à la prison de Cuatro Camins

« Entre toi et moi » …entre soi.


Hier, c’était la première de la pièce « Entre toi et moi » au théâtre de la prison Cuatro Camins de Barcelone. Cette pièce, de plus d’une heure, écrite par les détenus eux-mêmes et combinant plusieurs techniques (musique, chant, vidéo, théâtre) touche à ce qui a très souvent fait problème dans le développement de l’enfance du détenu et ce qui, en même temps, représente son espoir le plus grand, à savoir la famille.

Cette famille qui n’a pu, pour divers motifs, encadrer l’enfant et l’adolescent, cette famille qui vivait dans la précarité économique et surtout affective; cette famille où chacun ne savait pas très bien où il se situait, ni même s’il était le bienvenu; cette famille parfois recommencée plusieurs fois; cette famille-là, ces familles là charrient des secrets.

« Entre toi et moi » est donc la parole des détenus sur leurs familles, sur leur enfance et donc, sur leur malaise, le manque de communication, la fuite, la valorisation exclusive du présent.

La première du spectacle était présentée devant les détenus de trois sections particulières de la prison (psychiatrie, crimes de sang, crimes sexuels) ; ils étaient une centaine à assister à la représentation. Une représentation entre soi, en quelque sorte.

« Entre toi et moi », entre soi, donc.

C’est un public qui ne connaît pas le théâtre, qui n’y a presque jamais mis les pieds, qui croit encore que « le théâtre, ce sont des activités de femmes et de PD », que la vie est ailleurs (et c’est sans doute pour cela qu’il est si difficile d’en parler). C’est un public qui réagit au quart de tour. Il a réagi à la musique, aux interrogations de quelques-uns concernant la peur, le risque, le secret, la vie, le futur. On sentait, à certains moments, que ceux qui parlaient sur scène, parlaient pour eux-mêmes mais aussi pour ces autres, dans la salle.

Le principal défi des acteurs est toujours d’être crédible dans son rôle ; ce l’est d’autant plus ici que l’on joue une partie de sa propre vie mais aussi une partie de celle de ceux qui sont dans la salle et qui ne vous ont pas demandé de le faire; c’est pour cela qu’ils ne laisseront rien passer.

Intermédiaires ou interprètes à leur corps défendant, ces acteurs dévoilent des morceaux de plusieurs vies, représentent des secrets, des souvenirs et des regrets, portent encore des promesses de revanche (sur un ennemi ou sur la vie), transportent – entre toi et moi -  les  motifs plus ou moins explicites et conscients de leur emprisonnement.

Leur crédibilité ne sera donc pas qu’une affaire de technique théâtrale ; elle le sera aussi dans la cohérence construite avec les autres rôles et spécialement celui, pas si banal que ça, de détenu.
En prison, tout le monde joue au moins un rôle et certains vont plus loin et jouent la séduction mais tous jouent au moins le rôle du bon détenu, de celui qui a compris sa faute et promet de ne plus jamais recommencer.

Le détenu, dans le seul rôle que la société lui reconnaît encore (être un détenu) est prêt à de dire ce que l’administration pénitentiaire espère entendre de lui pour procéder aux séquences qui conduiront à sa libération.

Dans le théâtre, l’acteur détenu superpose un rôle écrit sur son rôle imposé de détenu. La construction de cette sorte de « méta-rôle », constitue tout le défi de ces acteurs.

Dans cette ambiance, tout se dévoile : c’est la peur de ces grands bonshommes, ces délinquants majeurs qui ont peur; ils ont peur d‘oublier leur texte, ils ont peur de la réaction de la salle, ils ont peur de ne pouvoir être à la hauteur; ils ont peur de rater, eux qui, si souvent – trop souvent – ont raté des enjeux plus importants.

Hier, devant les pairs, c’était sans doute difficile; ce le sera encore aujourd’hui, mais pour d’autres raisons, quand le public sera composé de leur famille. Il faudra jouer devant ses parents, sa copine voire ses enfants. Il faudra être un professionnel. Il ne faudra pas être un perdant, un vaincu… une fois de plus.
Mais aujourd’hui, devant ses pairs, pourtant entre soi, c’était un enjeu essentiel car, de la réaction des spectateurs (en partie joués), pouvait dépendre leur évaluation de tout leur travail entamé il y a environ un an.
Ces pairs qui ne connaissent rien en théâtre pouvaient, par leurs réactions, leurs manifestations, leurs commentaires, dénigrer cet engagement individuel dans un effort collectif.

C’est tout le mérite de la coordination artistique de les avoir préparés à cette possibilité qui ne s’est pas produite.

Tout s’est bien passé «entre toi et moi »… sans doute aussi parce que l’on était quand même un peu  entre soi.


Marc De Maeyer
Barcelone

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